PROLOGUE


" WE ARE BROKEN PEOPLE LIVING UNDER LOADED GUN "

Il y a plusieurs années de cela, je me demandais sans cesse de quelle manière pouvait raisonner un mec. Maintenant, la question que je me pose est : Comment raisonne une fille ?

Une fille j'en étais une, à l'époque. Si l'on déconsidère à présent l'entrejambe et le tour de poitrine qui reste une barrière naturelle entre eux et moi, j'étais moi-même un gars. N'étant ni transsexuelle, ni je-ne-sais-quel autre terme que la société a pu inventer, je m'étais simplement imprégnée de l'environnement dans lequel j'avais était initié dès mon plus jeune âge et j'avais adopté les faits, gestes & attitudes des gars de mon entourage. A l'aube du 21ème siècle où la société actuelle & ses citoyens se battaient pour leur droits, leur boulots, leur envies et leur fric, moi, je me battais pour survivre dans un monde de merde. Portland était mon lieu de résidence; cette ville était la plus grande ville de l'Etat de L'Orégon, elle comptabilisait plus d'un demi million habitants et cette dernière était majoritairement composée de fils de riches. L'attitude de ces gosses friqués qui parasitaient la ville ainsi que les locaux du lycée avait fini par m'horripiler au plus au point.

Mes seuls dieux étaient K. Cobain, J. Hendrix, J. Joplin ou encore J. Morrison. Ma religion était la musique rock & le Skate Park dans lequel j'avais atterris à mes 15 ans - soit 4 ans auparavant - était mon repaire. Ma vie se résumait à de vulgaires panels d'actions : Skate, sexe, musique, cours. Je me contentais de narguer l'ennui. Une poignée d'années en arrière, j'aurais trouvé effrayant de vivre de cette manière et fréquenter le Park le plus mal famé de Portland, et pourtant.

Ce Park à la fois bizarre, crade et insalubre, regorgeait de spécimen : humains ou non d'ailleurs. Les " decks " étaient ornés de Tags aux couleurs passées, la teinte des murs se délavait a cause l'usure, la moisissure avait prit possession des lieux et une odeur nauséabonde se dégageait de temps à autre des canalisations situées à quelques mètres de là. Cependant, je m'étais familiarisée avec cette vie, ce quotidien & le plus effrayant, c'est qu'il me plaisait d'autant plus que l'époque où tout allait ( presque ) bien. Katy & Tommy, mes parents, s'étaient séparés alors que j'atteignais tout juste les 4 ans, c'était l'une des raisons pour lesquelles je m'étais retrouvée livrée à moi-même ces dernières années. Mon grand frère Joël avait convaincu les services sociaux - par je-ne-sais-quel moyen - d'obtenir ma garde au moment où ma mère avait été internée. Il venait tout juste d'avoir 18 ans. Mon père, lui, s'était barré et n'avait plus jamais donné de nouvelles. Une fatalité de plus à laquelle ma mère n'avait pas su faire face, son dégout envers lui avait perduré mais son départ avait eut raison d'elle et l'avait rongé jusqu'à la moelle. Nous n'étions pas préparés à une vie de débauche, il avait consumé nos âmes fragiles et n'avait laissé que des souvenirs pauvres et meurtris par le temps . Ils avaient enfanté une génération d'écorchés. Certains perdaient leurs bras au travail, leurs jambes à la guerre, nous, nous avions subi une ablation du coeur. Seul le sang qui découlait de nos larmes témoignait encore de la douleur du sévice. Il était parvenu à nous nuire, même des années après son départ.

Mes rêves ? Envolés. Mes ambitions ? Disparues. Mes convictions ? Inexistantes. Je ne croyais en rien, si ce n'est en ce que je voyais. Les fleurs semblaient à jamais fanées et le pire, c'est que nous étions des milliers dans la même galère.

P R O L O G U E
.............................................................
Point de vue Jayden



" RUN RUN UNTIL THE EDGE OF THE WORLD "

Si un jour je m'étais imaginé dans cette situation, j'aurais surement éclaté de rire à n'en plus pouvoir m'arrêter.

La situation était irréaliste presque idiote mais elle faisait partie de mon quotidien à présent, et bien qu'elle m'ait peut être fait rire à une époque lointaine, elle avait fini par m'agacer au plus haut point. Essayant une énième fois, je me tortillais aussi discrètement que possible hors des bras de la fille qui se cramponnais à mon corps comme une rescapée et pestais contre ma propre bêtise. Après un effort titanesque, je réussis à me sortir du lit sans la réveiller, j'attrapais les vêtements que j'avais méticuleusement laissé tomber près du lit en un seul tas, et m'habillais rapidement. Il était déjà difficile de se défaire d'un pot de colle pareil, inutile de perdre du temps dans la fuite en cherchant ses vêtements éparpillés un peu partout dans la pièce, se faire surprendre une fois était déjà assez déplaisant comme ça.

Quand j'eus récupéré et enfilé mes affaires, je quittais cette chambre quasi-inconnue et me faufilais aussi silencieusement que possible jusqu'aux escaliers et descendis dans le salon. J'aperçus le chien de la fille s'extirper de son sommeil et lever la tête et, sans me laisser le temps de réagir, il se leva pour se joindre à moi.

« Non mais c'est pas vrai ça, Jayden tu es maudit mon pauvre vieux ! »

Je repoussais le labrador qui - décidément - ne voulait plus me quitter, et pris mon sac ainsi que mon manteau, tous deux posés près du canapé et je sortis aussi vite que possible de l'immeuble.

Sitôt que mes pas foulèrent le macadam recouvert de neige, mes pensées commencèrent à dériver; Comment en étais-je arrivé à cette vie de vagabond? Juste cette envie de tout lâcher, de voyager, de ne pas se prendre la tête avec les choses du quotidien et fuir le plus loin possible de ma ville natale où tout était particulièrement étriqué.

Il était encore tôt mais en regardant le ciel – où de gros nuages étaient présent –, je devinais que la journée serait loin d'être ensoleillé. Une fois arrivé dans l'enceinte d'un grand bâtiment bondé, mon regard se posa instantanément sur le tableau d'affichage des départs. Je fus quelque peu surpris de constater que mes pieds m'avaient conduit au seul endroit qui me permettait de fuir : la gare ferroviaire, à croire que j'étais un véhicule dont l'option " pilote automatique " était enclenchée depuis plusieurs mois déjà. Cette constatation me fit froid dans le dos. Si en étant constamment sur les routes j'arrivais à tomber dans la routine, mon quotidien finirait vite par devenir un enfer. Je soupirais et mon attention se porta une nouvelle fois sur les trains au départ. Calculant combien il me restait en poche, je pris la seule correspondance qu'il m'était possible de prendre : Portland. Avantage : le billet était peu couteux ; Inconvénient : ce n'était pas aussi loin que j'aurais voulu de la ville dans laquelle je me trouvais présentement.

Je me résignais, comme je le faisais avec tout d'ailleurs. Je n'avais pas le choix, une fois de plus.